Me Emmanuel FOTSO – Avocat au Barreau de Paris

Le juge français n’a pas à examiner la régularité du jugement étranger au regard de la loi applicable

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La Cour de cassation a rendu le 30 septembre 2020, une importante décision rappelant aux juridictions françaises qu’elles ne sont pas juges de la régularité des décisions rendues par les juridictions étrangères au regard du droit étranger (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 septembre 2020, 19-20.401).

Il s’agissait en l’espèce d’une décision rendue par une juridiction camerounaise dont la conformité au droit camerounais avait été remise en cause par la Cour d’appel de Rennes dans le cadre d’une procédure de transcription d’un état d’état civil. En effet, en raison d’une irrégularité l’affectant, l’acte de naissance d’un enfant né au Cameroun d’un parent français avait été reconstitué au Cameroun par les autorités camerounaises en exécution d’une décision de justice ordonnant ladite reconstitution. Les autorités consulaires françaises s’étaient opposées à la transcription, dans les registres de l’état civil français, de l’acte de naissance reconstitué au motif que l’acte était un faux et ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 47 du Code civil. L’affaire ayant été portée sur le plan judiciaire, la Cour d’appel de Rennes a retenu que l’acte de naissance initial étant irrégulier en ce qu’il ne comportait pas de souche, le jugement camerounais qui en ordonnait la reconstitution a, nonobstant sa motivation et l’audition de témoins dont il fait état, violé les dispositions de l’article 22 de l’ordonnance n° 2 du 29 juin 1981 relatif à l’état civil au Cameroun qui ne prévoient pas la possibilité de reconstituer un acte de naissance faux, et n’envisagent en revanche la possibilité de reconstituer un acte qu’en cas de perte, de destruction des registres ou lorsque la déclaration de naissance n’a pu être effectuée dans les délais prescrits.

Comme on peut le voir, la Cour d’appel de Rennes reproche au juge camerounais d’avoir mal appliqué la loi camerounaise. Une situation qui s’observe de plus en plus dans le cadre du contentieux de la transcription, dans les registres d’état civil français, des actes d’état civil dressés à l’étranger, où un certain nombre de décisions françaises refusent de donner tout crédit à des décisions étrangères considérées comme rendues en violation des législations locales. Cette situation entraîne un désarroi dans de nombreuses familles dont les actes d’état civil des enfants sont parfois qualifiés de faux par les autorités consulaires françaises et dont les recours auprès des juridictions locales en vue de faire réparer les irrégularités constatées sont rendues vaines par certaines juridictions françaises qui refusent toute valeur probante aux jugements étrangers.

La Cour de cassation rappelle ici qu’en application de l’article 34 de l’Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun, les décisions contentieuses ou gracieuses rendues en matière civile, sociale ou commerciale, par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun, sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre Etat si elles réunissent diverses conditions, notamment celle de ne rien contenir de contraire à l’ordre public de l’Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat.

La Cour de cassation conclut au regard de cet accord que le juge français ne saurait examiner la régularité d’un jugement étranger au regard de la loi applicable. Elle ajoute qu’en disant inopposable en France le jugement camerounais, au motif qu’il aurait été pris en violation de la loi camerounaise, pour débouter le demandeur de sa demande de transcription de son acte de naissance reconstitué, la cour d’appel a violé les articles 34 de l’accord de coopération entre la France et le Cameroun du 21 février 1974 et 47 du code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

La Haute juridiction restaure ainsi la souveraineté des juridictions étrangères qui sont seules compétentes pour juger de la bonne application et de la bonne interprétation de leurs lois nationales.


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